Le repas gastronomique, inscrit au patrimoine mondial depuis 2010

Composer avec minutie un décor de table, dresser nos assiettes pour une lecture verticale, photographier nos repas, les partager sur les réseaux sociaux, autant d’habitudes de mise en scène de notre quotidien qui semblent à nos yeux résolument modernes et intiment liées à l’essor du net. En réalité, cette formidable dynamique qui met l’esthétique au cœur du repas, nous vient du passé. Le repas gastronomique, mélange de mets raffinés et de scénographie appartient à l’Histoire de France. Il est même reconnu mondialement depuis son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2010.

Le Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux,

A Bordeaux, nous avons la chance, via le Musée des Arts Décoratifs, le MADD, de pouvoir revenir dans le passé à la recherche de ces racines. On peut y découvrir une reconstitution d’un intérieur bourgeois du XVIII dont la salle à manger occupe une place centrale. Le musée a initié un partenariat avec l’Art du Regard, société animée par deux passionnées d’Histoire de l’Art Estelle Henriot et Christine Delmas. Celles-ci proposent des sessions de formation in situ accessibles à tous sur réservation. Le premier cycle de l’année est dédié aux Arts de la Table. J’ai eu l’opportunité d’assister à la première, la découverte du musée. Voici l’essentiel de la visite :

Nous sommes accueilli par Caroline Fillon, responsable des publics au MADD. Historienne de formation, Caroline va nous entrainer dans une visite passionnante de L’hôtel de Lalande. Avec elle, nous reviendrons sur l’origine des mots. Nous parlerons de la table, une planche de bois destinée au départ à recevoir des écritures, puis une planche dressée sur des trétaux de la gastronomie aujourd’hui synonyme de bonne chère, de mets de qualité et auparavant terme peu glamour relevant des lois de l’estomac « gastro ».

La salle à manger, une invention du XVII

Caroline s’attarde aussi sur la salle à manger, une pièce qui apparaît en France au XVII siècle et qui s’impose seulement au XVIII. On y reçoit de façon ostentatoire selon des codes inventés à la cour et reproduits par la noblesse. Le faste, la rareté et la diversité des mets, la nombreuse domesticité témoignent de la richesse de l’hôte.

Le service à la française, comme à la cour du roi

Du XVII au XVIII siècle règne le service à la française, celui de l’esthétique avant tout.

Le repas s’organise comme un ballet en cinq actes de quinze minutes chacun. Les convives prennent place à table. Ils ont devant eux une assiette et feront appel à un serviteur dédié pour les couverts et le vin. Au top du maître d’hôtel, tous les domestiques posent les plats sur la table par série de services. Chaque diner comporte 4 à 5 services avec les entrées, les viandes et les poissons en sauce, les entremets salés, les entremets sucrés et les desserts. Les pièces arrivent entières et seront retirés pour être découpés. Chaque plat arrive en double ou fois quatre. Il est disposé selon un plan extrêmement précis et élaboré à l’avance, sur papier, par le maître d’hôtel. L’organisation, parfaitement symétrique, permet à chaque convive de pouvoir se servir seul de chaque plat dans le périmètre qui lui est réservé. La table est entièrement débarrassée au bout de quinze minutes à l’exception  des salières, boîtes à épices et huiliers-vinaigriers.

Dans le service à la Française, on compte souvent deux domestiques par invité. On comprend donc la dépense extravagante que devait représenter une réception. La montée en puissance de la bourgeoisie, le déclin de la noblesse et le développement des restaurants vont conduire à sa disparition.

Le service à la russe, la révolution tranquille du XIX

Au XIX, le service à la russe va s’imposer petit à petit. Deux changements majeurs accompagnent ce nouveau protocole introduit par l’ambassadeur de Russie Alexandre Kourakine. Dorénavant, couverts et verres sont posés devant les convives et non plus en attente sur un meuble d’appoint. Les plats arrivent en direct de la cuisine, prédécoupés et sont présentés à chaque invité qui se sert lui même. Enfin, on va manger chaud en France. Le goût, le plaisir des sens prend le dessus sur l’approche visuelle.

Les termes service à la Française, service à la russe et même service à l’anglaise sont toujours employé. Toutefois leur signification a changé. Ainsi le service à la russe devient le service au guéridon. Sur une petite table proche des convives (le guéridon) un serveur pose le plat sur un réchaud. Il termine la préparation par une touche spectacle comme la découpe ou le flambage. Il dresse les assiettes devant son public. Le service à la française : le serveur se place avec le plat à la gauche du convive qui se sert lui même. A l’Anglaise, même point de départ mais le client est servi.

Une fois posées les bases de l’art de vivre à la française, nous nous sommes arrêtés devant les vitrines présentes dans les salles du musée Lalande. Caroline Fillon attire notre attention sur la diversité des formes des plats présentés. Elle rappelle qu’au XVIII, chaque plat est conçu pour un usage spécifique et que chaque nouveau besoin, chaque nouvelle mode entraine la création d’un nouveau contenant. Ainsi lorsque l’usage du beurre se généralise en cuisine, le beurrier fait son apparition sur la table sous la forme d’une mini baratte crée  en 1754 par la manufacture de Sèvres. Nous détaillons les vitrines et leurs objets aujourd’hui disparus de nos tables : pot à oille, saupoudreuse et boîtes à épices. Pour conclure, Caroline Fillon nous raconte la brève histoire de la manufacture de porcelaine de Bordeaux qui ne produira que trois ans de 1787 à 1790.

 

Musée des Arts Décoratifs

  • Proche place Gambetta
  • 39 rue Bouffard
  • 33000 Bordeaux