En vacances au pays de mes souvenirs d’enfance, j’ai pris le temps entre balades et farniente de visiter une exploitation dédiée à la fabrication du reblochon fermier.
Voici le récit de cette chouette expérience.
Je t’emmène à la Ferme de l’Aulp, route de Sous l’Aiguille à Manigod. Ferme les yeux et imagine une vallée perdue dans les Aravis, pas très loin d’Annecy. On rejoint l’exploitation par une route de montagne qui serpente au milieu des prés et des chalets. Ici l’habitat a conservé son caractère authentique. Les chalets en bois bruni sont souvent regroupés par trois ou quatre. Ils sont tous dotés d’un mazot, petite construction en madriers de bois utilisée comme grenier à céréales ou cabane à outils. Souvent une chapelle vient compléter le tableau. Les maisons sont parfaitement entretenues, les balcons fleuris de géraniums rouge et les prés tondus de frais. On se croirait dans un décor de film américain ou dans les montagnes suisses et pourtant rien d’artificiel ici. C’est l’agriculture de montagne, l’élevage des vaches laitières qui permet de conserver ce fabuleux patrimoine et de faire de la nature un jardin à la Française.
Ici, on vit du reblochon depuis des générations.
La région de production
Ne rentre dans l’AOP (appelation d’origine protégée) que les fromages produits en Haute-Savoie et au Val d’Arly en Savoie.
Les étapes de la fabrication du reblochon fermier :
Avant de finir rôti sur un lit de pomme de terre comme ingrédient principal de nos tartiflettes, le reblochon fermier aura subi un process très codifié. En voici les principales :
- Le lait est transformé après chaque traite. Il est d’abord ensemencé avec des ferments et de la pressure
- 45 minutes plus tard, il a déjà pris la consistance d’un yaourt. C’est le caillé qui est découpé en petits cubes à l’aide d’une guitare. Il est ensuite séparé du petit lait.
- Le caillé sous forme de petits morceaux est versé sur une table garnie de moules recouverts d’un linge en lin.
- A l’aide d’un égaliseur et à la main, le producteur charge les moules, complète chacun pour obtenir le poids désiré puis retourne chaque fromage. Ensuite, on dépose une pastille avec le numéro identitaire du fabricant. La pastille du reblochon fermier est verte (rouge pour le laitier)
- Chaque fromage est recouvert d’un poids de 2kg pour accélerer l’égouttage et enlever l’excédent de petit lait. Les fromages reposent 12h sur la table.
- A l’issue trempage 2h dans un bain d’eau salé.
- Au sortir du salage, les reblochons sont stockés à la ferme pendant 4 jours pour commencer le vieillissement.
- L’affinage en cave se fait à la coopérative de Thônes. Il dure 4 semaines. Là-bas, ils seront retournés chaque jour.
- Le reblochon est prêt, il revient à la ferme pour être commercialisé ou sera vendu par la coopérative.
Dans le laboratoire d’Aurore Paccard, productrice de Reblochon fermier à Manigod
En fromagerie artisanale, toutes ces opérations sont automatisées. Par exemple, le décaillage est fait par un appareil fixé sur un bras mobile qui tourne dans la cuve de caillé.
A la ferme, l’agricultrice travaille sur de plus petits volumes et avec des outils très simples.
La ferme de l’Aulp
Chez les Paccard, on est agriculteurs de père en fils depuis des générations. Aurore et Alexandre travaillent sur deux exploitations. En hiver, ils sont basés à Manigod. A la belle saison ( mai à octobre) ils se déplacent en alpage à la ferme de l’Aulp suivant en cela une tradition séculaire.
La ferme possède 45 vaches laitières, des Abondance à la robe acajou tachetée de blanc et aux beaux yeux maquillés marron glacé et des Tarines couleur tabac.
Les vaches donnent en moyenne 10 litres par traite. Cela permet de fabriquer 180 fromages/jour*. Les reblochons sont vendus 6,50€ sur site. Cette production valorise le lait et permet à Aurore et son mari de se rémunérer correctement (à contrario de ceux qui ne font que le lait dont le prix trop peu élevé ne permet pas de vivre à un couple). Ils aiment leur métier mais ne voient pas la relève . La traite quotidienne demande une présence continue sur l’exploitation et ne donne pas de repos. Aurore craint que les jeunes ne veuillent plus sacrifier leurs week-ends à ce métier de passion.
* Ex: le 30 juillet sur les 45 vaches, 36 ont donné 735 litres de lait.
Les exigences du cahier des charges de l’ AOP
Extrait du site de l’INAO :
L’Appellation d’origine protégée (AOP) désigne un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, qui donne ses caractéristiques au produit. C’est un signe européen qui protège le nom du produit dans toute l’Union européenne.
C’est la notion de terroir qui fonde le concept des Appellations d’origine.
Un terroir est une zone géographique particulière où une production tire son originalité directement des spécificités de son aire de production. Espace délimité dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir-faire collectif de production, le terroir est fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Là se trouvent l’originalité et la typicité du produit.
Les règles d’élaboration d’une AOP sont inscrites dans un cahier des charges et font l’objet de procédures de contrôle, mises en œuvre par un organisme indépendant agréé par l’INAO.
L’AOP Reblochon fermier vous garantit un produit d’exception. Du cahier des charges, j’ai relevé l’essentiel :
- race autorisée : Abondance, Montbéliarde ou Tarentaise.
- alimentation contrôlée : Les animaux sont nourris à l’herbe en été, au foin, aux fourrages l’hiver avec des compléments en céréales sans OGM.
- taille, poids et aspect du fromage normés : diamètre 14cm, poids 450 à 550 grammes, croute jaune orangée. 45% mat grasse sur masse sèche.
- Traçabilité : registre journalier à tenir sur l’alimentation donnée, les quantité de lait et de fromages produits.
5.6.3 Dispositions spécifiques à la fabrication fermière
Pour pouvoir bénéficier de la mention « fabrication fermière » ou de toute autre indication laissant entendre une origine fermière du fromage, les exploitations doivent répondre aux conditions suivantes:
– la transformation doit être effectuée sur le lieu de l’exploitation principale ou sur le lieu de l’exploitation d’alpage ;
– la fabrication des fromages doit intervenir deux fois par jour, aussitôt après la traite, sans qu’aucune réfrigération ne soit appliquée au lait mis en œuvre ;
-la production totale du lait produit sur l’exploitation doit être inférieure à 500000 litres par an.Au cours du processus de fabrication du « Reblochon » ou « Reblochon de Savoie » fermier, un certain nombre d’opérations doivent être effectuées manuellement et ne peuvent être mécanisées :
INAO
– ledécoupage du caillé;
– le moulage du fromage qui doit se faire avec une toile végétale (lin ou coton) positionnée sur l’ensemble des moules ;
– le retournement du fromage qui doit être individualisé.
Fabrication manuelle et cahier des charges exigeant font du reblochon fermier un produit d’excellence. On le trouve à la table des grands chefs et dans les bonnes fromageries. La ferme de l’Aulp compte le restaurant la table de mon père de l’iconique Marc Veyrat dans ses clients.
Alors si vous passez dans les Aravis, faites vos plaisir, mettez au menu du jour, ce fromage digne des plus grands étoilés .
Il se déguste nature avec un verre de vin blanc de Savoie mais je le voie aussi très bien avec un Chablis. il faut de l’acidité, de la minéralité pour compenser le gras de la pâte.
Merci Aurore d’avoir pris le temps de m’accueillir au sein du laboratoire de la ferme de l’Aulp. Je garderai un merveilleux souvenir de mon passage Sous l’Aiguille et du goût incroyable du lait frais. Il y a un monde entre le produit aseptisé, édulcoré vendu en grande surface et l’or blanc des montagnes de Manigod. Le lait frais a le goût des dimanches chez mémé, il est doux comme une caresse et se boit comme une gourmandise.