le Chapon Fin, un restaurant à redécouvrir.
Le restaurant le Chapon Fin appartient à ces adresses d’exception qui font la richesse du Bordeaux gourmand. L’arrivée du chef Younesse Bouakkaoui m’a offert l’opportunité de revenir dans ce lieu unique à l’architecture insolite, au passé glorieux. Je partage ici, impressions et émotions culinaires sur ce temple de la haute gastronomie et des grands vins.
Un décor chargé d’histoire, opulent et singulier.
L’entrée du restaurant tout en discrétion et sobriété contraste avec la suite, un décor opulent et singulier, une folie baroque typique du XIX siècle. L’amateur de belle table en sera émerveillé tant il est surprenant de voir un espace historique ayant traversé les années sans perdre ses ornements d’origine.
Imaginez une vaste salle à manger aux murs décorés de faux rochers agencés en une suite de grottes artificielles capable de contenir tables et convives. La hauteur du lieu a permis à l’architecte Cyprien Alfred Duprat d’ajouter un balcon auquel on accède par un étroit escalier de fausses pierres à la rampe moulée comme un tronc d’arbre. Cette mezzanine conçue pour accueillir deux tables offre une place de choix à ceux qui ont le privilège de s’y installer. On les nomme les tables royales selon une tradition qui en réservait l’usage au souverain. Depuis le balcon, on plonge sur l’espace central du restaurant et sur l’autre élément classé du restaurant, un treillis en bois peint orné de médaillons portant les noms des illustres visiteurs de l’endroit. Le roi Alphonse XIII d’Espagne y cohabite avec la grande actrice Sarah Bernardt et le célèbre critique gastronomique Curnonski.
La magnificence du décor laisse entrevoir les heures de gloire du Chapon Fin sans que l’histoire pèse sur le convive. En salle se joue un spectacle contemporain imaginé par une équipe fière de s’inscrire dans les pas de prestigieux ainés mais bien ancrée dans le présent.
Depuis 1825, date de la création du restaurant, les lieux ont connu une longue période de prospérité sous la houlette de Joseph Sicart avant de connaître un destin plus chahuté depuis une première vente en 1960.
L’affaire, propriété de madame Sylvie Cazes, une grande figure du vin, est aujourd’hui dirigé par son fils François Regimbeau. En 2023, il a décidé de donner une nouvelle impulsion à la table et a confié les cuisines au chef Younesse Bouakkaoui.
En cuisine le chef Bouakkaoui
A Bordeaux, on connait bien le chef Younesse Bouakkaoui, un des rares locaux de la scène culinaire Girondine. Cet enfant du Médoc a fait ses classes à Cordeillan Bages à la grande époque de Thierry Marx, de Jean-Luc Rocha et des deux macarons Michelin. Il a continué son parcours avec le Domaine de Raba puis la Table de Montaigne, restaurant intimiste au cœur d’un hôtel de charme typiquement Bordelais.
Younesse Bouakkaoui ambitionne de faire revenir au Chapon Fin une clientèle de gourmets sensibles à une cuisine française où une juste dose de modernité vient réveiller des recettes ancrées dans la tradition et le terroir.
Le chef et l’équipe de salle vont travailler les arts de la table, la mise en scène soignée du repas et l’élégance des assiettes.
Le Menu du Chapon Fin, impressions et émotions by Sophie Juby
Au nouveau Chapon fin, on déjeune en trois temps, dans un souci de rapidité et de budget maîtrisé ou on se fait plaisir autour d’une proposition en six plats, le menu Sarah Bernardt qui comprend deux entrées, poisson, viande et deux desserts. A chaque fois, haute gastronomie oblige, le repas sera précédé d’un trio d’amuse-bouches et se terminera sur une dernière note sucrée composée de délicates mignardises.
Invitée au déjeuner de printemps, j’ai eu la chance de tester le menu Sarah Bernardt. Je vous livre ici mon retour d’expérience, mes notes de dégustation.
Accueillis par le maître d’Hôtel Germain Thullier, nous avons commencé par explorer les lieux à la recherche de la table idéale. Le choix s’avère difficile entre le lumineux atrium, les grottes intimistes et le balcon avec vue. Ce jour-là, j’ai craqué pour l’ambiance atypique d’une grotte, imaginant pour quelques instants me divertir en compagnie de Louis II de Bavière, prince fantasque aux châteaux décorés de rocaille.
Isolée du monde dans mon refuge du moment, j’ai pu me concentrer sur notre table, nos assiettes et les recettes. Ce fut un pur moment de bonheur, un spectacle orchestré avec malice par Germain Thullier qui partage anecdotes et connaissances sur l’histoire de la restauration.
Comme au théâtre, nous avons entendu les trois coups, trio d’amuse-bouches : anguille fumée, espuma de parmesan et œuf confit, mayonnaise au citron et sa mouillette croustillante.
Et puis en levée de rideau, une fantaisie culinaire, billes à croquer qui laissent exploser en bouche une larme de cocktail orange spritz ou de mojito sans alcool. Un joyeux préambule qui annonce une suite pleine de surprises et de découvertes.
En guise de premier acte, une Scarmoza, cœur de mozzarella fumée montée en écume et servie sur une huile de roquette, le tout surmonté de billes croquantes à base de farine de riz travaillé comme du riz soufflé. Un plat moderne et gourmand à l’image du repas à suivre.
Le second acte a marqué nos esprits par son parfait équilibre entre un visuel délicat et une recette qui sublime son terroir dans un esprit très contemporain.
Le chef a travaillé le foie gras du Périgord en millefeuille, avec une alternance de pâte filo croustillante et de foie cuit en terrine. Il a surmonté sa création d’une rosace de champignon brun de Lormont coupé en carpaccio et l’a décoré d’un sirop de sureau noir emprisonné dans une goutte formant larme.
Pour ajouter au story telling impeccable, on nous raconte que les fleurs de sureau noir ont été ramassées à Eysines par le chef lors de sa promenade matinale.
Pour suivre, un rouget farci d’herbes fraîches et sa soupe de poisson de roche et un cœur de veau rôti, deux plats parfaitement exécutés et bien mis en scène par le service en salle des jus et sauces. Cuissons impeccables, saveurs raffinées, on se régale.
Au cinquième acte, le chef Younesse Bouakkaoui cède la place au pâtissier, Thomas Guillot qui nous invite à poursuivre l’aventure en parfaite harmonie avec les débuts. Nous aurons une recette chocolat café, idée de moka déstructuré et servi en tuile cacao.
Le final est à la hauteur avec un roulé framboise d’une grande subtilité et d’une infinie beauté avec sa fleur en glace de maïs roulée et pétales de meringue. Cette douceur s’accompagne d’un verre de pétillant framboise, un jus légèrement fermenté et montée en syphon, l’ultime touche de peps et de bonne humeur de ce déjeuner de fête.
Le chef Pâtissier Thomas Gillot présente ses créations, moka déstructuré et roulé framboise, une version modernisée de deux classiques du répertoire français. |
Le rideau se ferme sur les mignardises, ultime douceur aux parfums de miel qui nous laisse la bouche finement sucrée et l’esprit moelleux comme la guimauve qui accompagne. On applaudirait bien des deux mains comme au spectacle mais une certaine retenue nous en empêche.
Nous nous attardons encore un peu pour prolonger l’expérience et prendre la mesure de tout ce qui nous reste à découvrir. En plus d’une cuisine exquise, le Chapon Fin dispose d’une des plus belles cartes des vins de Bordeaux. La cave en sous-sol qui abrite une salle de dégustation comprend plus de mille références dont les meilleures cuvées de la région.
Histoire, architecture, gastronomie et grands vins, le restaurant le Chapon Fin appartient à ces lieux patrimoniaux qui méritent une visite. L’arrivée d’une nouvelle équipe, soucieuse d’offrir le meilleur ne peut que nous réjouir et faire de cette table mythique une belle adresse à redécouvrir.
Le Chapon Fin
Ouvert du mardi au samedi
5 rue Montesquieu
33000 Bordeaux
Tél. : 05 56 79 10 10
Menu à partir de 45€ le midi.
Menu Sarah Bernhardt 78 et 99 le soir